Entretien avec Audrey Leprince de Women in Games France

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Derrière le divertissement, l'amusement, il y a toute une industrie, un vaste cercle de professionnel.le.s qui allient leurs compétences pour créer les jeux vidéo du moment. Des hommes ET des femmes. Cette mixité du secteur est la grande cause défendue et promue par la toute jeune association Women in Games France. En marge de la première rencontre-networking organisée lors de la Paris Games Week 2017, nous avons pu nous entretenir avec Audrey Leprince, sa présidente, pour en apprendre un peu plus sur l'action de WiG France et les perspectives en faveur d'une plus grande mixité dans le milieu du jeu vidéo.

NeoPF : L’association a été officiellement annoncée en septembre dernier. Quel a été l’élément déclencheur à la création de cette initiative ?

Audrey Leprince : Julie Chalmette (vice-présidente de Women in Games France, N.D.L.R.) et moi avons assisté ensemble à une cérémonie de remise de prix pour le jeu vidéo en France il y a un peu plus d’un an. Après avoir constaté qu’il y avait bien peu de femmes sur scène ou dans le public, nous avons échangé sur nos parcours personnels, sur les questionnements qui ont pu les jalonner ou encore les freins que nous avons rencontrés, parfois liés au fait d'être une femme dans cette industrie. Nous avons fini la soirée en nous disant qu’il était grand temps de se mobiliser pour faire bouger les choses. Et l’enthousiasme rencontré à chaque fois que le sujet était évoqué nous a permis de confirmer qu’une initiative comme celle-ci était largement attendue dans notre secteur en France.

La vocation de Women in Games France est d'« encourager plus de femmes à rejoindre l’industrie du jeu vidéo en France ». Concrètement, quels moyens/actions prévoyez-vous de mettre en œuvre dans ce but ?

Notre association souhaite œuvrer à plus de mixité dans le jeu vidéo en France, à travers 4 axes principaux : rendre les femmes de l’industrie plus visibles et mieux représentées, informer et contribuer au recrutement de jeunes femmes dans le secteur, sensibiliser les acteurs de l’industrie à l'intérêt de la mixité et apporter notre soutien aux femmes déjà actives dans le milieu.

Nous avons déjà mis en place plusieurs actions qui servent ces objectifs. Par exemple, nous tenons une « liste d’intervenantes » : des femmes de l’industrie prêtes à répondre à l’appel pour intervenir sur des conférences, tables rondes ou master class. Pour aller plus loin, et recruter encore plus de femmes dans cette liste, en 2018 nous allons proposer des formations à la prise de parole en public. Nous sommes en train de mettre sur pied un envoi d’information sur les métiers du jeu vidéo auprès des collèges et lycées de France, avec des régions pilotes dans lesquelles nous irons à la rencontre des jeunes filles dans les écoles pour parler de nos métiers.  Nous mettons en place pour les femmes du groupe du « mentoring », à commencer par un programme de marrainage et des ateliers CV. L’une de nos grandes actions de 2018 c’est notre programme pour mettre en avant des « role models » féminins du jeu vidéo français afin de motiver les femmes et étudiantes déjà intéressées par le secteur, mais aussi plus largement les jeunes femmes qui pourraient s’y intéresser et hésitent encore à se lancer. Cela passera par des portraits de ces femmes et de ces métiers, sur différents médias et notamment avec des partenaires Youtubeu.r.se.s.

 La première rencontre-networking a eu lieu à la PGW, d’autres ont suivi dans la foulée… Qu’est-il ressorti de ces premières réunions ? A travers ces premiers échanges, parmi les adhérent.e.s, avez-vous ressenti qu’il y avait une réelle attente, un besoin de libérer la parole et/ou de faire avancer les choses dans le sens de votre démarche ?

En effet, la première rencontre-networking de notre association qui s’est tenue le vendredi 3 novembre nous a permis de réunir plus de 400 participant.e.s en simultané à Paris, Montpellier et Nantes. Mais la Paris Games Week fut aussi l’occasion pour nous de mener des actions de sensibilisation auprès des jeunes filles et de leurs parents, de contribuer aux ateliers Game Code et de diffuser le message d'une industrie ouverte et dynamique, au sein de laquelle les jeunes filles ont tout à fait leur place. Nous sommes ravi.e.s d’avoir contribué à générer beaucoup de discussions et de prises de position sur l'importance de la mixité et la lutte contre le sexisme, comme en témoignent la couverture médiatique ou les rencontres avec les différents ministres ou secrétaires d'état. Depuis cet événement, de nouvelles femmes ont également rejoint notre liste d'intervenantes et nous avons accueilli plus de 120 nouveaux membres au sein de l’association, preuve que notre engagement répond à des attentes fortes du secteur.

Selon certaines études, il y aurait aujourd’hui autant de joueuses que de joueurs. Pourtant, le nombre d’élèves féminines est encore largement minoritaire dans les écoles de jeu vidéo en France. Comment l’expliquez-vous ?

La proportion de femmes en école de jeux vidéo est assez variable en fonction des cursus et des écoles, mais elle dépasse rarement 20% des effectifs, ce qui peut expliquer en partie la faible mixité de notre secteur.

Il ne faut pas oublier que passer par une école de jeu vidéo n'est pas un passage obligé pour travailler dans le jeu vidéo ! On y retrouve des personnes avec des formations très variées, et c'est aussi ce qui fait la richesse de notre secteur. Nous encourageons toutes les femmes à intégrer le secteur du jeu vidéo, que ce soit par le biais d’une école spécialisée ou d’autres formations.

Le cœur du problème se situe à mon sens à deux niveaux. D’un côté, l’établissement des stéréotypes de genre qui s’effectue dès le plus jeune âge ne fait que se renforcer avec les années. L’un des rôles de notre association est d’ailleurs d’aider à lutter contre cela.

Par ailleurs, nous constatons également un manque d’information sur les métiers de l’industrie ainsi que les formations liées. Nous avons compris la nécessité de s’adresser aux jeunes filles et à leurs parents pour les informer et leur rappeler que notre industrie est très dynamique en France comme à l’international, avec de vraies opportunités de carrière et des salaires compétitifs.

Dans l’industrie, il est souvent question de « créateurs » : les Miyamoto, Kojima, Ueda...  Ne manque-t-il pas justement d’une figure, d’une « role model » pour, peut-être, éveiller certaines vocations chez les femmes ?

Certes, les femmes sont aujourd’hui sous-représentées côté développement, avec moins de 15% de femmes dans les effectifs, et encore moins à des postes comme le design ou la programmation. Le jeu vidéo a longtemps été un loisir plus masculin mais aujourd’hui plus de femmes sont des joueuses : 1 Français sur 2, joue dont la moitié sont des femmes. A l’avenir, elles s’orienteront peut-être plus naturellement vers notre secteur. A titre d’exemple, on a bien vu l’impact positif de l’arrivée des nouvelles générations de créatrices sur la scène des jeux indés ces dernières années. De plus en plus de jeux faits par des femmes, c’est encourageant !

Mais il y a déjà aujourd’hui en France des femmes qui participent à la création des jeux vidéo, à des postes clefs, par exemple Sandra Duval (Arkane), Gabrielle Shrager (Ubisoft), Céline Tellier (Wild Sheep) ou encore Corinne Billon (Amplitude), Claire Zamora (1492 studios) et beaucoup d’autres. Elles ne sont pas toujours médiatisées, et nous avons aussi créé cette association pour encourager toutes les femmes de l’industrie à prendre la parole plus souvent pour changer l’image du secteur et inspirer de jeunes femmes à leur tour. Et il y aura un jour une superstar parmi elles, c’est une question de temps.

Dans les jeux vidéo, les femmes ont aussi souvent souffert d’une représentation dégradante, hyper-sexualisée à l’écran. C’est moins le cas aujourd’hui. Pour vous, est-ce le signe d’une prise de conscience des développeurs et éditeurs de jeux ?

Beaucoup de progrès ont été réalisés au niveau de la représentation des femmes depuis quelques années, et nous commençons à nous éloigner de la représentation systématiquement hypersexualisée des femmes. Là où l’on ne pouvait par exemple nommer que Lara Croft il y a encore 10 ans, de nombreuses héroïnes féminines ont commencé à émerger ces dernières années et on note aussi que de plus en plus de jeux proposent d’incarner indifféremment un homme ou une femme. Pour permettre à cette tendance de se confirmer, nous pensons qu’il faut que l’industrie continuer à changer de l’intérieur : plus y aura de femmes à participer au développement des jeux vidéo, plus les choses évolueront dans le bon sens en matière de représentation des femmes dans les jeux.

Des hommes ont également adhéré à votre association... Women in Games France n'est donc pas une association uniquement féminine ?

Nous avons constaté au sein de notre secteur que la plupart des hommes étaient très sensibles à la question de la mixité, et beaucoup essayent déjà de faire changer les choses à leur niveau. C’est en travaillant tous ensemble que nous ferons changer les choses de façon durable et constructive.

Deux mois après l’officialisation de l’association, quels échos a déjà rencontré votre démarche ? Quels sont vos initiatives à venir ?

Nous avons pu véritablement mesurer l’impact et les attentes autour de la création de Women in Games France lors de notre participation à la Paris Games Week.

La visite de nombreux officiels - Ministre ou Secrétaire d’Etat - nous conforte dans l’idée que notre démarche et notre engagement répondent à des attentes aussi bien de l’industrie que des pouvoirs publics. Du côté des adhérents, nous avons maintenant plus de 400 membres dont 20% souhaitent participer activement à nos actions.

Nous préparons maintenant le programme de 2018, qui va voir la continuation de nos actions déjà en cours et la mise en place d’un certain nombre de nouvelles actions vers l'Éducation ou le Mentoring.

La rédaction de NeoPF vous tiendra évidemment informé.e.s des futures actions de l’association !

Photos d’illustration fournies par Nicolas Gavet @PGW.

Les commentaires
Le
Bonne initiative Steve.
Le
Je viens sur cet article suite au topic un peu surexcité sur l'écriture inclusive.

C'est très intéressant et merci à Steve.

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